Luc Montagnier a été le pionner en France des infections à Rétrovirus et celui du rôle de l’ARN dans la cascade génétique humaine, opposé au dogme central de la biologie moléculaire qui ne voyait qu’un sens unique de l’ADN, aux protéines en passant par l’ARN.
Ces découvertes très originales l’ont amené à se pencher sur le premier cancer induit par un virus ARN, le sarcome de Rous chez la souris. Travail qui fut ignoré pendant plusieurs décennies malgré les évidences. Ceci témoignait déjà de la très grande originalité de sa pensée et il fut recruté à Pasteur pour monter un laboratoire sur les virus à ARN donnant des cancers (Oncornavirus).
Autre grande équipe, travaillant à cette époque sur l’hypothèse des rétrovirus, était celle de Robert Gallo à Bethesda qui avait mis au point des techniques de culture qui ont été décisives pour l’isolement du virus du SIDA. C’est dans le laboratoire de Luc Montagnier que fut isolé pour la première fois le virus du SIDA, d’un ganglion qu’il avait inoculé lui-même et que lui avait apporté Willy Rozenbaum.
Cette découverte lui a permis d’obtenir le prix Nobel qu’il a partagé avec Françoise Barré-Sinoussi. Cela n’a pas été la seule contribution qu’il a eue dans ce domaine, son équipe a pu découvrir un deuxième virus du même type (HIV2, responsable d’infections en Afrique de l’Ouest), puis il a découvert les cellules qui étaient la cible du virus du SIDA, et enfin, expliqué l’immunodépression du SIDA du fait de la destruction des cellules immunitaires. Il a été le premier à mettre au point un test de détection des anticorps et donc du diagnostic d’infections par le virus, ce qui a permis de créer un brevet, qui a rapporté pendant 20 ans un financement important à l’Institut Pasteur. Ce brevet a fait l’objet d’un conflit considérable avec les États-Unis où Gallo, utilisant un virus issu d’un prélèvement que lui avait envoyé Luc Montagnier, comme l’histoire l’a montré, avait développé une stratégie parallèle et un diagnostic utilisant ce même virus pour faire une sérologie dans la mise au point aux États-Unis a été beaucoup plus rapide que celle réalisée par l’Institut Pasteur.
Cette découverte extrême sur ces deux virus et leurs cibles dans la maladie qui est devenue la plus importante du XXème siècle, lui a valu une notoriété sans égale et aussi une haine rarement atteinte qui va malheureusement avec cette notoriété. Ses collègues, et j’en suis le témoin direct, négligeaient ou minimisaient son travail et, à un âge encore relativement jeune, il s’est d’abord exilé aux États-Unis puis en Chine pour continuer son travail.
Cette personnalité hors du commun sortait des sentiers battus mais n’aurait jamais pu faire les découvertes qu’il a faites sans sortir des sentiers battus. Il faisait partie de ces découvreurs qui tâtonnent et ne peuvent pas découvrir à chaque fois qu’ils tentent une nouvelle hypothèse. Le fait qu’un certain nombre de ces hypothèses ne se soient pas confirmées ne peut justifier en aucun cas qu’on le couvre d’opprobre. Il reste celui qui a créé le laboratoire qui a permis la découverte de l’agent infectieux le plus important de tout le XXème siècle. Il mérite toute notre reconnaissance et notre plus profond respect.
Son nom passera le temps et les siècles alors que tous ceux qui se sont moqués de lui et l’ont insulté auront disparu et n’auront laissé aucune trace dans l’histoire.
Au revoir Monsieur Montagnier.
Prof. Didier RAOULT